Le matin s'était élevé depuis quelques heures maintenant, donnant à la nature et son paysage les premières lueurs. Aelalia s'était levée en même temps, à l'aube. Fait étrange quand on sait que cette jeune fille adore pouvoir dormir. Mais quand il s'agit de partir à l'aventure, qu'importe l'heure du départ, elle serait alors la première à se lever. A peine debout qu'elle alla se rafraîchir avant de se faire de quoi manger un peu. Elle n'était pas une grande mangeuse et encore moins le matin, parfois juste un fruit et un peu d'eau lui convenait mais elle s'attelait à manger plus si elle ne voulait pas que son aînée lui fasse encore des remarques comme elle en avait l'habitude. Parfois, cette surprotection l'étouffait, énormément. Et c'est dans ces moments là qu'elle s'éloignait le plus du village pour continuer ses péripéties parmi les humains. Elle se faisait néanmoins discrète et n'usait que très rarement de ses sorts. Les gens malins, en l'observant, pouvait se douter qu'elle n'avait rien de complètement humain mais généralement, chacun préférait s'atteler à sa tâche sans s'attarder sur les passants, et ça lui convenait. Oui, tout ce qui se liait au mode de vie des hommes la fascinait, mais malgré tout, un peur demeurait en elle. La peur de ses ancêtres.

Quand elle eut terminé de manger, Aelalia ne tarda pas une seconde et, couverte d'une longue cape noire, rejoignit sa jument pour la préparer. Elle lui offrit quelques caresses sans oublier une pomme, Akasha était une incroyable gourmande, bien à l'inverse de sa maîtresse. Et puis, elle connaissant sa jument, la pomme était comme un appât, une récompense, parce qu'elle savait que le service qu'elle allait lui demander n'allait pas plaire à l'animal.

- Je sais que tu ne vas pas aimer la suite de mes idées, continua-t-elle tout caressant l'encolure de l'animal.

S'assurant une dernière fois que tout était mis là où il fallait et qu'elle n'avait rien oublié pour sa propre survie, Aelalia amena sa jument jusqu'à la sortie du village et la chevaucha. Le voyage jusqu'aux terres de Beren'thys n'allait pas être des plus courts, autant se mettre en chemin le plus tôt possible, car même au galop, elle n'était pas sûre d'atteindre Nhôldanthar avant la tombée de la nuit. Elle l'espérait grandement.

-Allez ma belle, on a une longe route qui nous attend !

Sur ces mots, la Sorcière talonna la jument qui aussitôt, se mit à galoper. A force d'avoir parcouru ces chemins pour se rendre jusqu'à la cité, elle les connaissait et qu'elle ne fut pas son soulagement lorsqu'elle vit pointer à l'horizon les premiers édifices de la ville, alors que le soleil déjà entamait sa descente. Au moins, elle ne devrait pas dormir au milieu de nulle part ! Aelalia n'était pas très friande des nuits à la belle étoile au milieu de rien. Bien que parfois, elle n'eut pas le choix de le faire. Franchissant enfin les remparts de la ville, elle descendit d'Akasha et se mit en tête de trouver une auberge ou dormir la nuit, elle reprendrait sa route tôt le lendemain.

~~~~~~

Chose dite, chose faite. La jeune femme se retrouvait déjà en chemin alors même que l'aube se pointait à peine à l'horizon. Elle n'était pas réellement pressée d'arriver là où elle voulait, néanmoins parvenir à destination avant la nuit tombée lui donnerait comme un sentiment de sécurité... Même si le marais de Dwalöm était réputé pour ne jamais laisser filtrer même le plus petit rayon de lumière. Cette idée la fit frissonner. Encore une fois, elle plongeait les deux pieds joints dans une sacrée situation, mais c'était plus fort qu'elle.

Enfin, elle y arriva et aussitôt, sa jument cessa net sa course au fur et à mesure qu'elles se rapprochaient de l'endroit. Aelalia savait que ça n'allait pas lui plaire car déjà, elle émettait des signes de protestions et des hénissements.

- Akasha ! Ne fais pas ta tête, nous devons y aller !

Mais les mots ne faisaient pas tout et pour une fois, la jeune sorcière avait du mal à se faire obéir de sa jument qui se débattait bien pour ne pas entrer dans cet antre de la terreur aux odeurs nauséabondes. Il fallut bien une bonne dizaine de minutes à Aelalia pour prendre le dessus sur Akasha et la faire rentrer. L'équin obtempéra bien à contre cœur, les oreilles baissées et loin d'être rassuré. Sur le chemin, la jeune femme remonta la capuche de sa cape sur sa tête. Réellement, elle n'aimait pas cet endroit et Akasha encore moins. Tenant fermement les rennes de sa jument, Aelalia regardait les alentours. Pourquoi les Sorcières du clan noir s'étaient-elles réfugiées ici ? Aussi profondément cachées de tout, dans un endroit aussi nauséabond et visqueux. Non, vraiment pourquoi ?
Cette inattention lui fût fatale puisque, déconcentrée, elle ne se rendit compte que trop tard qu'Akasha, effrayée par une bruit, se cambra. Surprise, Aelalia ne sut se cramponner que quelques secondes aux rennes avant de méchamment tomber en bas de l'équidé.

- Akasha ! cria-t-elle, plus sous l'effet de surprise que de colère

Aelalia se releva aussitôt, bien que péniblement. Son poignet avait dû supporter le poids de sa chute et bien qu'il ne soit pas cassé, il lui lançait atrocement. Elle grimaça un peu, digne des moues boudeuses des enfants, avant de jeter un regard à sa jument.

- Bravo...

Elle n'eut pas le temps de rajouter autre chose vis-à-vis de sa jument qu'un bruissement se fît entendre derrière elle. Se retournant vivement, elle prit tout de même la peine d'attraper de sa main valide les rennes de sa monture. Il manquerait plus qu'elle s'échappe ! Comment ferait-elle pour rentrer ? Et puis, est-ce que sa jument pourrait être capable de se déjouer des pièges du marais seule ? Aelalia culpabiliserait bien longtemps si Akasha venait à mourir emprisonnée dans le marais.

Bientôt, deux sihlouettes se distinguèrent de la brume ambiante du marais. La Sorcière les reconnut directement, enfin reconnaître... en tant que Sorcière du clan noir. Sa gorge se serra un peu tandis que les deux autres femmes se rapprochaient d'elle.

- Que fais-tu ici ? lança l'une d'elle, rompant ainsi le silence

D'abord silencieuse, quelque peu nerveuse, Aelalia hésita une minute à remonter illico sur son destrier et rebrousser chemin... Mais cela l'étonnerait qu'on la laisserait ainsi filer.

- Heu je... Je viens m'entretenir avec votre... reine ?

Elle-même, dans le fond, ne savait pas pourquoi elle était venue jusqu'ici mais la réponse sembla plus ou moins convenir aux deux consœurs qui prirent en charge Akasha ainsi qu'elle-même - non sans l'empoigner par le bras, dans le cas qu'elle voudrait se faire la mâle -

Elles ne tardèrent pas à arriver au village de Trysdan, là où se terraient les Sorcières qui ne pouvaient pas vivre sans la présence d'hommes dans leur vie mais qui devaient s'y plier par le traité qui avait été signé il y a de cela bien des siècles par son aïeul. Une des sorcières qui l'avait repêchée elle et sa jument, après avoir attaché Akasha, s'en alla, certainement prévenir leur mère supérieure, tandis qu'Aelalia patienta, non sans être lâchée par l'autre sorcière. Encore heureux qu'elle ne l'empoignait pas par le mauvais poignet. Elle avait tout de même l'impression d'être un objet de foire qu'on exposait au centre de la place.

Il était plus que temps pour le clan noir de trouver une solution pour que le clan originel accepte de lever ce fichu pacte. Dans un rire gras, l'homme porta sa coupe de vin à son visage tout en caressant la cuisse de Saresha qui esquissa un sourire faux et suintant d'hypocrisie. Il avait fallu qu'elle tombe sur l'homme le plus gros et immonde du continent... et pire, fainéant par dessus le marché. La sorcière lâcha un léger soupir, presque trop sincère pour être vrai. Une simulation parfaite qui faisait croire à son partenaire qu'elle le prenait du plaisir dans le seul but de l'exciter lui. Avec un peu de chance, il terminerait rapidement... L'homme rit de plus belle avant de fesser le postérieur de la mère supérieur, lui arrachant un sursaut de surprise. Diantre, en voilà un qui avait la main lourde. La sorcière lâcha un rire bref avant de se remettre au travail, ondulant lascivement sur son partenaire de sabbat. Mais qu'est-ce qui pouvait pousser une femme comme Saresha à s'arrêter sur un homme aussi misérable que ce gros porc ? L'argent, le pouvoir. Car l'homme entre les cuisses de notre redoutable sorcière n'était autre qu'un richissime monarque Ilnhedrin. Il s'était engagé à emporter l'enfant si naissance mâle il y avait et s'en suivrait forcément une compassion financière. Bref, en somme, une longue nuit attendait notre mère noire...


Une fois le matin arrivée et tout les hommes ayant quitter Trysdan, Saresha s'accorda une pause bien mérité, persuader que la journée serait quand à elle sans embûche. Mais voilà, une fois le village remit au propre par les sorcière après cette nuit de sabbat, voilà que deux d'entre elles revinrent avec un paquet sous le bras. Saresha écarta le rideau de laine qui couvrait l'entrée de son entre et sortit doucement, posant son regard sur la petite sœur de sa rivale.

« On l'a trouvé qui rôdait dans le marais mère. »
« Lâchez là immédiatement, est-ce ainsi que l'on traite une sœur ? »
« Non mère... »

D'un geste de la main Saresha congédia les deux femmes puis s'approcha de la sorcière du clan originel.

« Aelalia... que fais-tu ici ? Tu sais que ta sœur n'aime pas quand tu viens à Trysdan... »

Une caresse dans la longue chevelure ébène de la jeune sorcière et Saresha la guida vers un escalier en colimaçon qui faisait le tour d'un gigantesque tronc d'arbre.

« Viens mon enfant... Tu es sale et mouillée, tu dois être frigorifiée. »

Une fois dans la demeure principale du village, la mère supérieur fit s'installer Aelalia dans un siège confortable puis lui servit une décoction de plante.

« Dis moi Ael'... que viens-tu faire ici ? Je vais encore avoir des problèmes avec ta sœur... Hors tu sais que notre relation est déjà difficile... sans compter que tu risque ta vie chaque fois que tu viens seul au marais. Combien de fois devrais-je t'expliquer les dangers de ce lieu ?

Saresha s'installa confortablement dans son propre siège, soupirant longuement en fixant la sorcière de son regard ambré. Elle connaissait Aelalia depuis l'enfant, elle avait même connu sa mère avant sa naissance. Elle savait parfaitement ce que pensait l'originel, elle savait son désir de liberté. Aelalia avait plus que quiconque sa place dans le clan noir mais jamais elle n'accepterait de trahir sa sœur pour sa propre liberté. C'était bien dommage.

Elle était restée silencieuse, et à la vue de Saresha se rapprocher d'elle, encore plus. Elle ne savait pas dire si elle ressentait une certaine peur, une angoisse ou encore une gêne vis-à-vis de la belle brune. C'est donc toujours dans un silence religieux qu'elle fixa la Sorcière s'arrêter devant elle en lui prodiguant une caresse sur sa chevelure de jais avant de l'inviter à la suivre vers la demeure principale du village, autrement dit la propre maison de la Dame.

- Ma sœur n'aime pas que je sorte tout court.

A ces mots, la belle se mordit immédiatement la lèvre inférieure. Elle aimait réellement sa sœur, mais l'impétueuse qui dormait en elle ne supportait pas plus d'être autant bridée. Alors, elle se vengeait dans ces mots et aussitôt, elle culpabilisait parce qu'elle disait. Son aînée ne cherchait qu'à la protéger, et sûrement éviter ses erreurs d’immaturité. Aelalia n'avait pas encore retenu suffisamment de ses erreurs, puisqu'elle les commettait à nouveau bien malgré elle. On avait beau dire, ce n'était pas parfois amusant d'être d'une nature foncièrement téméraire et audacieuse. Elle s'en mordait parfois les doigts... Mais sa soif d'aventure et de découverte était trop grande, se morfondre au village de Grimwyn n'était vraiment pas pour elle et ça, il fallait que sa sœur l'accepte malgré ses excès de protection.

Arrivée dans la demeure de la reine, la jeune sorcière se sentit quelque peu honteuse en se regardant rapidement de haut en bas. Il est vrai qu'elle avait l'air d'une gueuse, sortie tout droit des bas-fonds des quartiers malfamés des cités humaines. C'était la faute du marais -pour ne pas dire de la sienne-. Elle hésita un peu avant de s'asseoir, non pas par doute, mais parce qu'elle n'était vraiment pas présentable et qu'elle souillerait le siège. Après quelques secondes à demeurer debout comme une idiote, elle finit par s'installer alors que Saresha lui servait une décoction de plantes. En face d'elle, la reine vint à s'installer également. Aelalia observa un peu le filet de fumée qui s'élevait de la tasse, prouvant ainsi que le breuvage devait certainement être encore assez chaud. Décidant de ne pas y toucher pour le moment, elle attendit que la Dame lui dise quelque chose. A dire vrai, la Sorcière hésitait à entamer en première la conversation. Et ça ne se fit pas attendre. Qu'est-ce qu'elle venait faire ici, au fin fond des marais ? Difficile à dire, juste le résultat d'une idée farfelue de s'enfoncer seule dans ces terres reculées ou une réelle idée de parler avec la Reine Noire ? Quant à sa sœur... Peut-être penserait-elle qu'elle soit allée à Melboör au lieu du Marais, après tout elle s'était habituée à voir sa cadette disparaître quelques jours et revenir par la suite comme une fleur. Enfin, elle pourrait bien espérer parce qu'elle n'était pas dupe.

- Peut-être pensera-t-elle que je suis allée à Melboör, comme à chaque fois.

Oui, elle était naïve. Mais c'est ça qui lui donnait ce charme si innocent et jeune.

- Je sais, je sais... Akasha a essayé de m'y empêcher mais c'était plus fort que moi, tu dois savoir que je passe au-dessus des interdictions malgré les savons qui tombent après.

Et le tutoiement, parlons-en. Ce n'était pas un problème d'éducation, Aelalia n'était pas impolie... Elle était trop franche et ne réfléchissait pas nécessairement avant d'ouvrir la bouche. Ça aussi, c'était un petit défaut.

- Heu... vous...

Réalisant sa gourde, elle préféra replonger dans son mutisme, un peu gênée, sentant bien que la mère supérieure du clan noir promenait son regard ambré sur elle, comme si elle voulait la sonder. Remuant discrètement le nez, Aelalia se redressa un peu pour attraper de sa bonne main le breuvage, qui avait dû se refroidir un peu depuis. Buvant quelques gorgées, elle reposa la tasse sur la table, baragouinant un « merci » pourtant bien audible. Là aussi, elle était bien franche, pas une fois elle ne s'était questionnée quant à ce qui pouvait avoir dans ledit breuvage.

Aelalia avait toujours était une femme naïve, trop innocente. Saresha le savait parfaitement. La reine émit un faible rire en voyant la gène de la jeune sorcière et se pencha, prenant elle aussi une tasse de thé.

« Aelalia, tu peux me tutoyer tu sais... Je ne t’aie connu à ta naissance, je t'ais même porté dans mes bras... Et bien que nos clans soit en froid, tu es le bienvenue ici tant que tu n'es pas là pour juger mes filles et nos coutumes. »

La mère supérieur lui lança un petit sourire et reposa la tasse avant même d'en avoir bu le contenu. Rapidement elle ouvrit un placard et sortit une robe propre ainsi qu'une serviette puis déposa le tout sur la table.

« Tu peux rester ici pour la nuit... Mais demain tu rentreras chez toi Ael, ta sœur va se faire du soucis... Et je veillerais personnellement à ce que tu rentres en bonne santé, mes filles te raccompagnerons à l'entrée du marais. »

La sorcière soupira, prenant une brosse à cheveux et s'approcha d'Aelalia , commençant à brosser la longue chevelure d'ébène de l'originel.

« Tu sais... j'ai souvent envié ta sœur... Juste parce qu'elle t'avais... Moi je suis fille unique et malgré mes six siècles d'existence je n'aie toujours pas d'enfant... j'aimerais avoir une fille comme toi. »

Saresha reposa la brosse lentement avant de relever les cheveux de la jeune femme et de les attacher en un chignon puis fila dans un coin de la pièce pour faire chauffer de l'eau dans la cheminée.

« Quoi qu'il en soit, tu es mon invitée aujourd'hui... Tu vas commencer par te laver, te changer et ensuite tu pourras aller et venir au village à ta guise mon enfant. »

La sorcière se tourna vers sa consœur et afficha un sourire bienveillant. Il fallait au moins cela pour la mettre à l'aise car Saresha sentait bien que Aelalia était gênée, qu'elle ne se sentait pas à sa place ici. La reine traversa la pièce et descendit les escaliers.

« Quand tu seras prête, rejoins moi en bas. »

La jeune Sorcière voyait bien que la Dame Noire essayait de la mettre à l'aise par ces sourires et son attitude chaleureuse et maternelle parce qu'effectivement, Aelalia ne se sentait pas réellement à sa place au village de Trysdan. Dans un sens, elle ne pouvait pas en vouloir à ses sœurs noires de la regarder d'un mauvais œil, après tout que venait foutre la petite sœur de leur rivale en ce lieu ? Mais d'un autre côté, elle ne voyait pas en quoi elle irait leur faire du mal. L'originelle n'avait peut-être pas exactement les mêmes idéaux que ses consœurs de Trysdan, même si une partie pouvait s'en rapprocher, elle n'allait pas non plus les mettre à les critiquer et insulter. Pour ça, Aelalia se révélait être suffisamment mâture. D'ailleurs, Saresha souligna bien ce point, elle était la bienvenue tant qu'elle ne jugerait pas les us et coutumes de ses sœurs. Aelalia ne répondit pas, après tout si la reine la connaissait, elle devait savoir que ce n'était pas dans ses habitues d'user de telles bassesses.

En attendant, son interlocutrice finit par se lever et alla tirer d'un placard une robe propre, simple mais jolie, ainsi qu'une serviette qu'elle déposa sur la table alors qu'elle s'attela déjà à lui faire chauffer de l'eau. En même temps, Saresha l'invita à rester pour la nuit, sûrement pour éloigner tout danger. Il est vrai que si le marais était déjà fort peu accueillant le jour, à n'en pas douter qu'une fois la nuit tombée, il devait l'être encore moins pendant que ses plus viles créatures sortiraient de leur ombre pour se repaître de proies égarées. Cette pensée lui donna des frissons. Il est vrai qu'elle fut fort peu prudente de s'aventurer seule dans cet endroit, sans compter que ce ne fut pas son premier coup d'essai. A l'avenir, Aelalia se devait d'écouter un minimum Akasha, les animaux sont toujours plus sensibles à certaines choses.

- Merci, finit-elle par ajouter, ses lèvres s'étirant dans un léger sourire.

La suite des choses l'étonna un peu. Alors qu'elle avait sorti pour Aelalia de quoi se laver et se changer, Saresha revint une brosse à la main et se mit à la coiffer, doucement, comme une mère à son enfant. Ce geste, sa propre mère l'avait répété tant de fois lors de sa petite enfance, qu'elle replongea dans ses souvenirs. Cela faisait déjà de nombreuses années qu'on la lui avait arrachée et pourtant, Aelalia gardait toujours cette impression que ce jour maudit ne datait que d'hier. Entre les deux sœurs, elle fut probablement celle qui fut la plus touchée par la perte de leur figure maternelle. Enfin... La Sorcière n'avait jamais réellement abordé le sujet avec son aînée mais peut-être que ses obligations prirent le dessus sur ses émotions. Oui, c'était sûrement ça. Mais comme on attendait rien de particulier venant de sa cadette, Aelalia quant à elle avait pu se laisser aller à son chagrin. Ses souvenirs raviva son mal et l'émotion aurait pu la submerger si elle n'avait pas eu suffisamment de fierté pour ne pas se fondre en larme comme une piètre gamine. Non au lieu de ça, elle garda le silence et profita juste de ce moment. La Dame Noire se laissa même aller à quelques confidences, qui lui réchauffa même un peu le cœur. A ses propres yeux, Aelalia se croyait surtout être un sacré fardeau pour sa sœur avec ses lubies et ses escapades mais il est vrai qu'il est plutôt rare pour une sorcière d'avoir facilement des enfants, et donc des sœurs.

Quand la Reine Noire eut terminé son ouvrage dans les cheveux de la plus jeune, elle lui expliqua qu'après s'est lavée et changée, elle pouvait venir la rejoindre en bas avant de descendre. Aussitôt, Aelalia se releva de son siège et s'attela à verser l'eau maintenant chaude dans la bassine taillée dans le bois. Elle ôta ensuite la robe, qu'elle pourrait aisément jeter vu l'état dans lequel il était, avant de se glisser dans l'eau chaude bienfaitrice. Un soupir de bien être s'échappa de ses lèvres. Sans toutefois tarder de trop, Aelalia profita comme il se devait de ce bain plus que bénéfique, avant d'en sortir et se sécher. Alors seulement, la jeune femme enfila la robe que Saresha lui avait préparé quelques temps plus tôt. Elle était noire, entièrement, mais avec des fils dorés sur les manches et le décolleté. Une robe très simple mais jolie. Aelalia réajusta également son pendentif et s'assura qu'elle était présentable avant de rejoindre la reine un étage en-dessous.

Celle-ci l'attendait en bas. Au début silencieuse, la Sorcière voulut néanmoins lui demander quelque chose, elle espérait juste qu'elle n'entrerait pas dans le parfait privé, si tel était le cas, alors elle changerait de sujet. Ce n'était pas la première fois que la cadette se couvrait de ridicule.

- Est-ce vrai que tu n'as jamais encore pu enfanter ? Même pas des garçons ?

Une fois en bas, Saresha s'approcha d'une des disciple de son clan. Elle passa près d'elle sans lui jeter le moindre regard et saisit un livre dans la bibliothèque avant de le feuilleter.

« Veille à ce qu'Aelalia ne manque de rien jusqu'à son départ... et dit aux autres qu'à la moindre bavure je sanctionnerais.»
« Oui mère. »

la sorcière quitta la demeure rapidement, peu de temps après Aelalia descendit son tour, ravissante dans la robe noire. La reine s'installa dans son siège sagement et sourit à l'originelle.

« Tu es magnifique Ael. »

Mais voilà que la petite vint à aborder un sujet houleux. Quelle idiote aussi de lui avoir fait mention de son manque d'enfant.

« Jamais. Voilà près de sept siècle que je foule ces terres... J'ai eu des centaines d'hommes entre mes cuisses et malgré les innombrable sabbat... je ne suis jamais tombé enceinte. C'est la volonté des Dieux Ael... nous n'y pouvons rien, mais je sais que mon tour viendra. »

La sorcière afficha un nouveau sourire avant de fermer son livre et de se pencher vers la jeune demoiselle.

« Mais je vais te dire un secret... J'ai fait un rêve... J'y voyais un enfant ! Un garçon, il était bel et bien vivant et beau comme pas deux... je sais que bientôt ce sera mon tour. Les dieux m'ont envoyé cette vision Aelalia... Et si tu te montre patiente, toi aussi un jour tu mettras au monde un enfant. Ce qu'il faut, c'est garder la foi. »

Une sorcière à la longue chevelure rousse fit brusquement irruption, le souffle court. Son visage pâle et la sueur sur son front laissait voir l'inquiétude qu'elle ressentait.

« Mère!Il faut que vous venez, Lyrine à commencer le travail ! Mais l'enfant refuse de sortir ! »

Saresha perdit son sourire et se leva, laissant son livre sur son siège puis l'invita Aelalia à la suivre. Put être que celle-ci, trop jeune et trop peu expérimenter n'avait jamais vu d'accouchement. Et ses conséquences. Saresha s'engouffra dans l'un des chaumières où une sorcière à la chevelure d'or était allongée et poussait de toutes ses forces. La femme qui s'occupait de l'accouchement retira ses mains de sous le draps et fixa la reine.

« L'enfant arrive par le siège mère. »
« Laisse moi la place. »

La femme se leva et s'écarta, Saresha prit place sur le petit tabouret et souleva le draps, observant l'entre cuisse de la sorcière qui souffrait le martyr.

« Lyrine, tu vas garder ton calme, je vais retourner l'enfant, il est possible que cela te fasse mal. »

La femme hocha la tête, le souffle haletant et les joues humides de ses larmes. Saresha tendit les bras et déposa ses mains sur le ventre avant de fermer les yeux. Le silence tomba lourdement dans la petite chaumière, seul les gémissement de la mère en plein travail résonnait dans la pièce. En tant normale n'importe quelle sage femme vous aurez dit qu'il était impossible de retourner l'enfant... Mais lorsque l'on est une sorcière avec plus de six siècles d'existence et que l'on ossède le don inné de force spirituel, il est possible de faire cela, bien que ce ne soit pas facile. La femme se mit à gémir alors que son ventre remua, dans la poche, l'enfant se retourna doucement avant de prendre une posture convenable.

« bien... Lyrine, quand je te le dirait, tu pousseras... POUSSE ! »

Tel une posséder, la sorcière se pencha vers l'avant, serrant ses genoux et poussa de toute ses forces. L'opération fut répétée à plusieurs reprise avant que le bébé ne sorte complètement, glissant rapidement entre les cuisses de sa mère qui rit de soulagement. Saresha saisit la serviette qu'on lui tendit et enroula l'enfant dedans alors qu'une des sorcière coupa le cordon et fit sortir le placenta.

« Mon bébé... je veux savoir le sexe ! »
« Un garçon. »

Un nouveau silence tomba, plus pénible encore que le premier.

« Le père ? »

La jeune mère n'eut pas le courage de répondre. Fondant en larmes, elle secoua la tête. Saresha leva le visage en soupirant et garda l'enfant dans ses bras.

« Bien... remets toi Lyrine... Tu l'as bien mérité. »

Saresha sortit de la maison et lâcha froidement à l'égard d'Aelalia.

« Viens avec moi... je veux que tu vois ce qui se passe.... Je veux que tu vois pourquoi le clan noir si durement juger par le tiens, se bat. »

Sa question n'avait pas fait trop de remous, même si elle imaginait bien que cela devait être quelque chose de houleux pour la Sorcière. Mais au moins, elle avait daigné lui répondre, sans l'envoyer paître méchamment. Et puis, elle évoqua son rêve... Les Dieux semblaient lui avoir montré. Et qu'en ferait-elle ? Elle devrait le tuer, comme tout autre bébé du sexe masculin, alors pourquoi les Dieux lui avait montré pareil rêve ? Aelalia ne renchérit pas, encore moins quand Saresha parla que son tour viendrait un jour ou l'autre. A dire vrai, si les sabbats étaient obligés, elle n'espérait pas enfanter tout de suite. De tout façon, elle n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'une sorcière à la chevelure de feu rentra en trombe dans la demeure. Apparemment, un accouchement se déroulait et tout ne se passait pas comme prévu.

Aelalia n'eut pas son mot à dire, la reine l'invita à la suivre et c'est donc dans la chaumière de la future mère en difficulté qu'elle se retrouva, bien malgré elle. C'est donc tout naturellement qu'elle préféra rester en retrait, et puis elle considérait que sa place ne soit pas juste à côté de l'autre sorcière, elle était une parfaite étrangère après tout.

La Reine Noire dut user de ses dons pour aider la mère en difficulté, la chaumière fut d'ailleurs plongée dans un silence palpable durant son opération, où seuls les gémissement de la femme se faisaient entendre. Ce "spectacle" était loin de l'enchanter, et lui donna davantage envie de ne pas enfanter maintenant. D'autant plus s'il s'agissait d'un garçon. D'ailleurs, le sexe ? Fille ou garçon ? Dans l'immédiat, Aelalia n'aurait vraiment pas aimé être à la place de la sorcière, peut-être était-elle trop sensible aussi mais s'imaginer elle-même en train d'accoucher et de découvrir, après tant de souffrances, que le bébé qu'elle portait depuis neuf mois était tout juste bon à être tué s'il était un petit homme, d'autant plus que c'est sa propre sœur qui s'en chargerait, comme elle l'a toujours fait. Elle pouvait être tellement froide et fermée.

Voilà, il était sorti. Aelalia étira un peu son cou pour voir ce qui se tramait au devant de la scène, et bien sûr en attendant la fatale vérité. Parce que c'était bien le mot juste, fatal. La nouvelle mère n'attendait que ça, dans un mélange d'angoisse, de souffrance et de joie. Mais la jeune Sorcière vit cet éclat, ce soupçon d'espoir éclater dans les yeux de la femme quand l'annonce du sexe se fit. C'était un garçon. Un nouveau silence retomba sur la chaumière, alors que la Sorcière se fondait en larmes. Le père ? Inconnu au bataillon, ils ne s'étaient pas découverts lors du Sabbat, la vie, si courte, de ce bonhomme était donc déjà toute tracée. Saresha n'ajouta rien d'autre, et après lui avoir conseillé de se reposer, sortit de la demeure en traînant avec elle Aelalia. Les paroles qui suivirent furent remplies de rancœur et de colère, la Sorcière le percevait plus que bien. Mais de là à sous-entendre qu'elle ne savait pas ce qui se passait à ces gosses nés du mauvais sexe, il ne fallait pas exagérer.

- Tu crois que je ne le sais pas ? Que je ne sais pas ce qu'il leur arrive ? accompagnant ses dires d'un pointement de doigt vers le nourrisson qui remuait en pleurant.

Aelalia afficha un visage désolé vers cette petite vie.

- Mais je n'ai pas le pouvoir de changer ça... Je ne suis pas Marylla et ma sœur ne m'écoute pas encore...

Enfin, elle pouvait dire tout ce qu'elle voulait, ça ne changerait en rien au sort de ce nourrisson, il était déjà scellé. En revanche, elle pressentait bien quelque chose qui se tramait.

Saresha serra l'enfant au creux de ses bras. Le petit bien qu'il avait tout juste quelques minutes était déjà calme, paisible. La sorcière c'était arrêter pour fixer la petite originelle qui perdait patience.

« Oui tu sais.... Tu sais mais tu n'as pas vu. Je me trompes ? Et contrairement à ce que tu crois, tu as le pouvoir de le changer tu sais pourquoi ? Parce que tu es sa sœur justement. Elle t'écoutera toi plus que quiconque Aelalia. Mais pour cela, cesse de te comporter comme une enfant, agis et réfléchis tel une reine parce qu'un jour, c'est ce que tu sera lorsque ta sœur abandonnera le trône. »

La reine se remit en route et entra dans son bâtiment donc le rez de chassé était le salon où les deux femmes avaient but un thé plus tôt. Saresha entra une porte dans le fond de la pièce qui menait à son antre personnel et lâcha.

« Tu as plus de deux siècles d'existence Ael... C'est presque trois fois la vie d'un humain... Ne crois-tu pas pour toi qu'il est temps d'agir ? Je sais parfaitement ce que tu pense du pacte de sang mais tu n'en a jamais vraiment vu les conséquences parce qu'on t'en a préservé. »

Doucement, la sorcière noir déposa l'enfant sur une souche d'arbre qui faisait office de support. Dans le bois était gravé un cercle avec des runes Yshraïque visant à tout forme de rituel et de sacrifice.

« Parce que Marylla était furieuse contre les hommes, elle a interdit à toutes les sorcières d'avoir une quelconque présence masculine dans leur vie... Le clan originel se dit bon ouvert et pourtant, il encourage le meurtre des nouveau nés. Regardes cet enfant Aelalia et dit moi ce que tu vois de dangereux en lui ? »

Saresha s'approcha de la jeune sorcière, attrapant son bras et la tira vers le bébé, l'empêchant de faire marche arrière. Lentement elle approcha son visage de celui de la brune, murmurant à son oreille.

« Un jour tu sera mère... tu as aura une chance sur deux de mettre au monde un fils... Prie pour que j'ai réussis à annuler ce maudit pacte, prie pour que ta sœur se montrer raisonnable... car le jour où ton fils se fera égorgé de sa main où pire, de la tienne si tu es reine... Crois moi, tu regrettera amèrement d'être venu au monde. »

La sorcière recula doucement et s'approcha de la souche, posant une main sur le ventre du bébé sans lâcher Aelalia du regard. La dureté du regard de la reine ne laissait pas de place à la pitié ni même à la compassion. Lentement, elle retira son atamé de son fourreau accroché à sa hanche et murmura.

«  Nous avons le droit à la liberté Aelalia... Mais qui sommes nous pour juger et s'octroyer le droit de vie et de mort sur des innocents ? En tuant nos enfants, nous ne vallons pas mieux que ceux qui nous ont condamnés y a mille ans de cela. »

D'un geste rapide et sans hésitation, Saresha égorgea le bébé qui émit un gargouillis immonde alors que son sang se déversait sur la souche, faisant luire les glyphes runiques. La magie était à l’œuvre, l'enfant mâle avait été sacrifié pour honorer le pacte de sang. La sorcière s'approcha de sa cadette et murmura.

« Alors, es-tu prête à grandir à présent ? Car ce combat est aussi le tien. »

D'un geste doux, Saresha posa sa main ensanglanté sur l'épaule d'Aelalia.

La Sorcière serrait le nouveau-né contre elle, tendrement. Elle aurait pu passer pour sa mère, mais elle n'en était en rien. Et d'ici quelques minutes, la petite chose serait sacrifiée, car c'est ainsi que devait se dérouler le cours des choses. Pas de place pour les sentiments, pas de place pour les émotions, pas de place pour la compassion. La pitié n'avait pas son mot à dire dans ce qui allait suivre. Mais une chose sur laquelle se fourvoyait son aînée, c'était bien sur le fait de penser que jamais elle n'y avait assisté. Contrairement à ce que Saresha disait et pensait, Aelalia savait et avait vu. Bien sûr, dans le dos de sa sœur, car sa curiosité maladive la gagna une fois de plus ce jours fatidique il y a de ça un bon nombre d'années, et lui permit de voir les choses telles qu'elles étaient. Sa reine n'en savait rien, Aelalia n'en avait jamais fait allusion, mais depuis, son désir de voir le pacte annulé grandissait. Le manque d'hommes dans la communauté yshraïque n'était pas le plus important à ses yeux, oh non cela passait bien au second plan, pour elle les bébés étaient tout en haut de la liste. Mais au grand jamais elle n'avait imaginé qu'un jour, cela puisse être le sien (si seulement elle enfantait). Une chance sur deux que ce soit un garçon qu'alors les sorcières seraient obligées de sacrifier pour honorer le pacte. Elle n'y pensait pas, tout simplement parce qu'elle ne voulait pas y penser.

Aelalia emboîta le pas à Saresha et bientôt, toutes deux se retrouvèrent dans l'antre personnel de la reine, là où trônait une vieille souche, remplie de runes. Son aînée y posa le bébé tout en continuant son discours vis-à-vis d'Aelalia. Encore une fois, elle était en désaccord avec les propos la concernant. Elle n'était pas si préservée qu'on le laissait le croire... Tout du moins, on pensait l'en préserver mais rien n'était plus faux. A ça, sa sœur avait en partie échoué. Mais elle ne la blâmait pas, il n'y avait rien à blâmer, la cadette était juste curieuse, trop curieuse.

La Sorcière ne parlait pas, à croire que Saresha se faisait un monologue.
Elle ne réagit pas non plus quand elle l'attrapa par le bras pour la tirer plus près vers la vieille souche.
Elle était une poupée désarticulée qui se laissait manipuler, observatrice et muette. Si bien que pour la première fois depuis le début de cette journée, Aelalia revêtit un visage vide d'expression, comme une glace sur laquelle rebondiraient toutes émotions extérieures. Parler n'avait aucune utilité. Cela ne changerait pas le sort du bébé en face d'elle. Peut-être les suivants, seule Mëawyn pouvait le savoir...

Alors vint le moment de sacrifier le nouveau-né, de lui enlever la vie sans pitié. Saresha le fit, sans jamais quitter du regard Aelalia, qui au final, en faisait de même, abordant un air sérieux qui lui était peu familier. Était-elle choquée ? Non. Et alors que le bébé se mourrait, ses lèvres se descellait enfin, quand pour la ultime fois Saresha l'invita à grandir pour combattre dans cette lutte qui était aussi la sienne. Elle n'avait jamais prétendu que ce combat n'était pas le sien, mais de là à l'anticiper comme future reine du clan originel... Tout n'était que supposition, sa sœur pouvait parfaitement mettre au monde une fille et dès lors, la succession serait remise sur les frêles épaules de cette enfant. Mais dans le cas contraire... Alors oui, Saresha avait raison et c'est elle qui devrait prendre ce rôle, peut-être à contre cœur. Elle n'avait pas été préparé à être une reine, mais sa soeur n'était pas non plus à l'abri d'un accident, tout comme le fut leur mère.

- Tu te trompes... J'ai vu. Pas parce que je le voulais, mais parce que j'ai suivi mon instinct. Et ça, personne ne le savait. Quant à être une reine... je ne pense pas avoir les talents requis pour un tel rôle, c'est... trop de responsabilités.

Sa voix était petite et douce, mais à la fois emprunt d'un lourd manque de confiance en elle.. A ce moment là, la sorcière posa sur son épaule la main qui avait commis l'horreur. Aelalia baissa les yeux sur cette main puis sur le corps ensanglanté du bébé et sans le quitter des yeux, les laissant promener sur le petit corps désormais sans vie, poursuivit toujours avec cette petite voix.

- En revanche, je n'ai jamais dit que ce combat n'était pas le mien, mais je ne le fais pas pour les hommes en priorité, je le fais bien pour ces bébés qui n'ont pas à payer pour les erreurs de leurs ancêtres...

Elle posa ensuite son regard de jade sur Saresha. Aelalia possédait les yeux des descendantes de Marylla... leurs yeux de jade caractéristiques. Il n'avait aucun doute quant à son ascendance.

- Mais toi ? Mise à part la vie de ces nouveaux-nés, pour quoi d'autres veux-tu que ce pacte soit tant que ça détruit ?

Bien sûr, elle savait ce qu'il encourait à une sorcière de tomber amoureuse... Le sentiment amoureux, la perte de ses pouvoirs... A dire vrai, Aelalia redoutait énormément ce sentiment, de ne pouvoir le contrôler s'il devait lui tomber dessus un jour ou l'autre et perdre ainsi l'intégralité de ce qui fait d'elle une sorcière, parce que le pacte existe. Mais elle voulait savoir pour Saresha...

Saresha se comportait avec la jeune sorcière de manière maternelle, aussi longtemps que lui remontaient ses souvenirs, ce fut toujours le cas. Elle l'enlaçait chaleureusement, lui caressait tendrement les cheveux tout en la détournant du corps sans vie du nouveau-né, la guidant vers la pièce principale de la demeure. Comment pouvait-on se méfier d'une femme aux allures si tranquilles ? Comment Aelalia pouvait se douter qu'au plus profond de la femme qui se dressait à ses côtés, se renfermait un mal qui la pourrissait de l'intérieur un peu plus chaque jour ? A moins de le voir de ses propres yeux, il lui était impossible de le deviner ou de le concevoir. Aelalia pouvait, bien malgré elle et sans le savoir, signer son propre arrêt de mort à rester ici, dans ce village.

Quand la reine lui exposa sa vision des choses, le pourquoi de son combat pour annuler le pacte, Aelalia demeura silencieuse. Elle approuvait certaines choses et pour d'autres, elle restait sur sa réserve. A dire vrai, même si Aelalia voulait aider à l'annulation dudit pacte, elle-même venait parfois à se remettre en question, si au final, il était bon de le faire ou de laisser les choses comme elles étaient déjà et préserver ce maudit pacte. Mais dès que ces pensées s’immisçaient dans sa tête, les images des nourrissons mâles tués au nom d'un pacte millénaire lui revenait à l'esprit, et à ça s'ajoutaient également ses escapades chez les hommes, leur mode de vie, les familles réunies à écouter les rires de leurs enfants. Tant d'insouciance à laquelle leur peuple n'avait pas le droit. Cependant, Aelalia possédait toujours une certaine réserve vis-à-vis des hommes, probable héritage de ses ancêtres, si bien que même si on pouvait deviner qu'elle était une sorcière, d'autant plus la jeune sœur d'une des reines sorcières et possible héritière, celle-ci ne le criait pas spécialement sous tous les toits. Non, le pseudo incognito (car c'en n'était plus réellement) lui convenait. Se fondre dans la masse et observer.

Aelalia se tira de ses pensées quand les derniers mots de la sorcière noire résonnèrent à ses oreilles. Saresha lui affirma qu'elle n'avait pas de crainte à avoir vis-à-vis de sa loyauté et qu'au grand jamais elle ne lui demanderait de trahir son sang, elle désirait juste pouvoir compter sur elle, sur son soutien et, apparemment, sa capacité à se faire écouter de la Mère Supérieure du clan originel. Disait-elle la vérité ? Aelalia n'avait que la parole de son aînée de toute façon. Mais un autre doute venait parfois lui ronger l'esprit... Viendrait-elle à regretter son choix, son acte si le pacte était enfin annulé ? A cette question hélas Aelalia ne possédait aucune réponse et seul l'avenir pourrait lui en donner une. Alors, l'originelle se contenta d'étirer ses lèvres en un léger sourire alors que Saresha la fixait dans le blanc des yeux.

- Je peux essayer, encore. Mais ça pourrait prendre un peu de temps, de nouveau...

Mais dans le fond, la sorcière ressentait une peur sourde. Une peur qu'elle n'arrivait pas à qualifier ni à expliquer. Était-ce les conséquences qui pourraient avoir lieu suite à la fin du pacte ou... Découvrir une autre Saresha suite à l'annulation de ce bout de papier ?

Spoiler:

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L'originelle suivit le pas et sortit à son tour, pour constater qu'il faisait plus sombre. La nuit devait être tombée, alors quand Saresha l'invita à se reposer sauf si elle voulait déjà repartir, Aelalia se souvint de ce que lui avait dit la reine quelques temps plus tôt. Mieux valait qu'elle dorme donc ici cette nuit, et deux des sorcières noires la raccompagneraient le lendemain à l'aube jusqu'à l'orée du marais. L'idée de s'aventurer de nuit dans ce cloaque ne l'inspirait pas vraiment.

- Non. Je resterai ici cette nuit. Je ne préfère pas devoir me frotter à des rencontres désagréables. Enfin... Il me semble que c'est ce qu'il y a de mieux, sans abuser.

A peine le son de sa voix s'éleva qu'il fut couvert par des hennissements de mécontentement. Tournant la tête vers la source du bruit, Aelalia y vit sa jument se cabrant alors que deux sorcières essayaient tant bien que mal de la ramener. La jeune femme fit une moue avant de s'excuser auprès de Saresha et se diriger vers Akasha. A la vue de sa maîtresse, l'équin se calma progressivement. Aelalia se permit de prendre la place des deux autres sorcières pour continuer d'apaiser la jument qui avait retrouvé son calme. Akasha avait un tempérament peu enclin à se faire approcher ou retenir contre son gré, surtout via des gens que l'équidé ne connaissait pas. Autant dire que la jument était une sacrée tête de mule.

- Oui, elle a du être mal attachée, ajouta la sorcière en passant ses mains sur le museau de l'animal.

Pivotant vers les sorcières qui avaient ramené sa monture, Aelalia les remercia, simplement, avant de s'éloigner avec Akasha. Elle aurait aimé trouvé un petit endroit tranquille pour pouvoir être un peu seule, enfin être en "tête à tête" avec sa jument. Elle le faisait souvent et même si elle ne pouvait communiquer avec Akasha comme elle le ferait avec n'importe quel être humain, parfois elle était persuadée que sa jument la comprenait et tentait tant bien que mal à l'aider ou la guider. Elle lui confiait beaucoup de choses, sachant pertinemment que ces choses ne finiraient jamais par se savoir mais ici, il n'était pas prudent de le faire. Les oreilles pouvaient être partout. Alors elle se contentait de se balader aux côtés d'Akasha, la flânant de caresses. La pauvre ne trouvait que très peu de choses à manger.

L'originelle perdit la notion du temps lors de cette petite promenade et ne rentra que bien tard, après s'être assurée que cette fois-ci, Akasha était bien attachée. Mieux valait pour elle qu'elle ne parvienne pas à s'échapper durant la nuit. Quelles horribles rencontres elle aurait pu faire dans ce marais nauséabond. Rentrée dans la demeure, Saresha lui montra alors où elle pourrait dormir tout en l'invitant à manger. Le repas se passa sans encombre et plutôt silencieusement, la fatigue se faisant ressentir dans les membres d'Aelalia. C'est donc tout naturellement qu'une fois allongée, la brune s'endormit en moins de deux.

A l'aube du lendemain, Aelalia repartit au dos de sa monture, accompagnée par deux sorcières du clan comme l'avait promis leur reine. Arrivées à l'entrée du marais, ayant accompli leur tâche elles s'éloignèrent pour rentrer chez elle. Aelalia voulut au moins les remercier mais elles étaient déjà loin, alors elle les regarda disparaître dans la brume du matin. Il faisait frisquet et le moindre de ses souffles laissait échapper une petite fumée blanche de sa bouche entrouverte.

- Allez Akasha, on rentre.

Un coup de talon sur les flancs de l'animal et il partit à toute allure, comme heureux de sortir de ce marais. De nouveau une longue route l'attendait... Quant à ce qu'elle avait dit à Saresha, elle essayerait oui. Mais ça ne pressait pas, après tout elle connaissait sa sœur et arriver avec des gros sabots n'aurait fait qu'empirer. Elle s'était essuyée des échecs avec cette façon là. Si Saresha voulait avoir sa liberté et son pouvoir, elle devrait s'attendre à être patiente, car la reine originelle était loin d'être malléable sur ce sujet et Aelalia savait que si elle voulait avoir gain de cause, il lui faudrait les arguments qui parviendraient à acculer sa sœur de sorte qu'elle lui donne raison. Autant dire un long travail et... des preuves.

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