| Kethnyr Il Faägn Messages : 80 Neÿr : 8301 ◘ Fiche de présentation
- ◘ Interlude:
Ennuyeuse fin de banquet. Aussi fade qu'une coupe vide, et la sienne ne valait guère mieux, tout juste garnie de la lie d'une bouteille épuisée. S'il s'agissait d'un bon crû, le roi n'aurait su le dire, n'y ayant pas pris garde. Il aurait aimé qu'il resta du sang, autre que celui qui figeait dans les reliefs du banquet, plats faisandés qui iraient à l'aube suivante faire le festin des corbeaux.
Les convives s'en étaient allés, prolongeant les festivités dans des chambres closes en douce compagnie. Le roi pour sa part soupait des ravages de son propre orgueil. S'il s'était montré, non courtois, mais moins venimeux, à l'égard de la mère de son enfant ce soir-là, il aurait lorgné de meilleurs promesses que celle d'une couche aussi vide que sa coupe. Kethnyr n'était pas assez fier pour s'effrayer de rattraper sa prétendue dame au seul caprice du partage de ses nuits, mais le sang d'Asthyrion ne serait pas en reste, et elle aurait tôt fait de se jeter au bras du premier venu pour ravir au monarque sa victoire facile. Kethnyr voulait bien faire des concessions, mais c'était là que son orgueil jouait, s'il s'agissait d'inviter des inconnus dans son lit, il pouvait bien s'en charger seul.
Dans un soupir, le roi quitta son siège et quelques serviteurs humains saisirent le signal et se mirent à débarrasser les vastes tables. D'un œil critique, le monarque jugea que ses invités avaient fait bonne chère, sans qu'il en remercia son cuisiner pour autant. Pouvait-on vraiment rater un service de viande crue en étant doté d'yeux et de nez ? La chose s'était produit, une fois, des décennies auparavant, et à ces prérequis indispensable, Kethnyr ajoutait la nécessité d'une cervelle : lorsqu'elle grouillait d'asticots, il y avait à parier que la viande avait tourné. A défaut de s'en dégoûter, le roi préférait ne pas partager ses proies.
Remontant la table, il avisa une autre coupe vide, celle-ci plus fabuleuse que la sienne propre, rehaussé de pierreries et d'un liseré d'or blanc. Le semi-dragon retroussa la lèvre supérieur, dans un rictus désapprobateur qui laissait à voir la menace de ses crocs. C'était là la coupe qu'il avait consacré à leur père à tous, une coupe de sang mêlée d'épices et de quelque artifice des prêtresses de telle sorte que son contenu ne coagulait jamais. Ses griffes raclèrent sur la table, éraflant la nappe élégante.
Aucun de ses hôtes n'aurait osé. Il s'agissait d'une simple délégation de Nhôldanthar venue jouir de l'hospitalité des Khëradas. Le roi ignorait encore s'il s'agissait de quelques élus locaux ou s'il avait accueilli en prince le résultat d'une loterie malheureuse et à dire vrai, il s'en moquait éperduement. Si les négociations avaient une chance de virer à l'orgie, rien n'était plus aisé que d'obtenir une entrevue avec le roi et il espérait avoir démontré à ces étrangers de tout sang que les Khëradas ne traitaient pas si mal leurs serviteurs. Kethnyr n'aurait pas prétendu ceux-ci à l'abri de quelque tour d'ivoire.
Le sang des dragons parlait, les menait aisément à la colère et au désir. Son peuple était né des frasques du Dieu avec une humaine, et l'on pouvait tourner l'affaire sous tous les aspects, celle-ci avait souffert de la nature de son aïeul, et cela de son propre gré. Pour l'heure, le roi s'était abstenu de commentaire, la délégation avait paru satisfaite, et ceux qui réchapperaient de la beuverie de cette nuit aurait peut-être assez de souvenirs du banquet pour assurer à leurs pairs qu'il n'y avait pas si grand péril à œuvrer sous l'égide des Khëradas.
L'évidence demeurait : ces peuplades-là ne goûtait pas le sang, moins encore celui du Dieu. Il y avait fort à parier que cette impudence venait de sa propre cour. Le roi n'aurait pas exclu son fils de la liste des coupables. Celui-ci n'avait pas coutume de prendre de manière si ostentatoire le parti de sa mère – s'affubler de son nom était déjà assez – mais père et fils entretenaient conjointement le feu de leur propre querelle, des flammes aussi vives et pérennes que celles qui flamboyaient dans le temple du Dieu. D'un geste furieux, Kethnyr envoya voler au sol la coupe, dédaignant ce trésor d'orfèvrerie. Ainsi, l'on pourrait prétendre que la coupe avait chu lors des festivités, et nul parmi le Khëradas ne rougissait jamais des conséquences de ses frasques.
Kethnyr s'en fut, regrettant presque de s'être montré si cassant tantôt, alors qu'il lorgnait encore après Asthyrion. La fidélité douteuse du roi était un fait communément admis mais d'expérience, il savait qu'il était vain de chasser deux gibiers différents dans la même clairière. D'un pas lent, il prit la direction des appartements de la reine. Celle-ci ne s'y trouverait certainement pas, elle aurait mieux à faire, quelque scandale éclatant pour que l'écho railleur en parvienne ensuite jusqu'aux oreilles du roi.
Quelques coups à la porte et le roi attendit. Une chambre vide, c'était pis qu'une coupe vide et plus amère encore.
| | Sujet: Chroniques de Kethyr Il Faägn Mer 14 Aoû - 10:16 | |
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